Sous le soleil de l'amour 1

Publié le par paul geister

Du hublot, Véra regardait l’avion atterrir. Les freins des ailes amovibles s’agitaient sous le vent. La bruine picarde perlait sur la carlingue. Le débarquement s’effectua sans histoire. Le petit aéroport d’Amiens était pratique et peu encombré. Le pilote s’occupait des valises pendant qu’elle traversait le tarmac pour se diriger vers le hall d’accueil. La Picardie, sa terre natale, imprimait ses radiations si particulières dans ses chaussures, inondait son âme d’une profonde mélancolie.

Certains aurait interprété le mauvais temps comme un sombre présage. Mais Véra savait qu’à travers la terre grasse où pointaient les jeunes pousses du printemps, c’était un hommage que lui accordait le ciel picard.

Sandra, la sœur de son fiancé, mais aussi sa meilleure amie l’attendait devant le comptoir du café.

Elle l’accueillit chaleureusement :

-          Alors la lyonnaise, contente de revenir à la maison ?

Sandra était une grande brune au corps élancé et athlétique. Toujours souriante, elle avait un succès fou auprès des hommes. L’imperméable beige qu’elle portait, renforçait cette impression svelte qu’elle dégageait naturellement.

-          Tu parles ! Lorsqu’il y a un temps aussi radieux pour te souhaiter la bienvenue et que tu quittes un soleil de plomb, que demander de mieux.

Véra savait qu’elle ne disait pas tout à fait la vérité. Elle avait écourté son séjour à Lyon de deux jours sur la demande expresse de sa mère.

-          Allez viens. Je suis sûre que tu as plein de choses à me raconter, déclara Sandra en posant la valise de son amie sur le chariot.

Elle glissa un pourboire au pilote.

-          Je n’y crois pas que ta collectivité te paye un jet privé pour tes déplacements professionnels. Moi, lorsque je leur demande un taxi, c’est le bout du monde.

-          Détrompe-toi. C’est moi qui paye. C’est pour cela que je t’ai demandé de venir me chercher. Parce que je n’ai plus d’argent.

Les deux femmes éclatèrent de rire. Sandra savait que son amie mentait. Véra occupait une place très importante au conseil régional en tant que chargée de mission à la culture. De ce fait, elle bénéficiait de nombreux avantages et d’un salaire tout à fait convenable.

-          Alors, tu as encore vu des vedettes ?

-          Tu m’étonnes, il y avait Lookwood, Ceccaceldi, Dutronc…

-          Dutronc, Jacques Dutronc demanda Sandra.

-          Mais non, Thomas Dutronc, le fils.

Tout en devisant gaiement, les deux amies s’étaient installées dans la BMW de Véra. Elle l’avait confiée à son amie pendant son absence.

-          Pas de problème avec la voiture ?

-          Du beurre. Tu repars quand tu veux à Lyon. J’ai emballé comme c’est pas permis. Tous les mecs de Saint Leu étaient à mes pieds.

-          Il était temps que je revienne. Pour un peu, tu serais devenue une déesse et je ne t’aurais plus aperçue qu’à travers la lorgnette de mon télescope.

-          Pour cela oui, il était temps que tu reviennes. Avec les filles on n’arrête plus de sortir depuis que les garçons sont partis. Une semaine, c’est vite passé.

Oui, une semaine était vite passée, pensa Véra. Pourtant Benoît lui manquait déjà. Le frère de Sandra était devenu tout pour elle. De leur union longue de plus d’un an, naissait un fruit surprenant : l’amour. Les cinq jours qu’elle avait passés à Lyon lui avait permis de faire le point sur sa vie privée. Oui, Benoît était l’homme de sa vie. Ce qu’elle n’aurait qu’à peine imaginé un an plutôt se produisait. Elle tricotait des plans sur la comète comme une midinette fleur bleue. Un flot d’émotions, à la simple évocation de Benoît, lui pétrissait le cœur. Les sentiers ronceux qu’elle avait parcourus pendant des années apparaissaient comme des avenues moelleuses et confortables. Elle eut du mal à embrayer, lorsque Sandra la harponna d’un coup de coude :

-          Vise un peu le petit brun, là-bas. Il est pas mignon. Tu sais qu’Isa l’a allumé grave hier soir. Il y croyait dur comme fer. Il faut dire qu’il avait bien arrosé sa soirée.

-          Je te rappelle que je sors avec ton frère. Je suis déjà casée.

-          Attends. C’est rien de mal. Tu as le droit d’admirer avec les yeux. Sans y mettre les mains.

Véra ne put s’empêcher de sourire. Sandra avait raison. Il ne servait à rien de s’enduire le cerveau de mélancolie. Elle finirait par faire fuir une armée de croque-mort même désireux de faire la fête. Elle était peu habituée au bonheur, voilà tout. Elle se promit de faire un effort. Mais le message de sa mère l’inquiétait avant tout. Il y avait une étagère de sanglots dans sa voix lorsqu’elle avait appelé. Ce n’était pas son habitude elle si calme et pondérée.

-          Tu viens boire un verre. J’ai des copains au Jet Star. Isa doit m’y rejoindre dans deux heures.

-          J’ai un truc à régler avant. Rien de grave, dit-elle en voyant l’inquiétude passer sur le visage de son amie. Mais je te rejoins dans deux ou trois heures. Promis !

-          Promis ?

-          Promis ! je t’appelle sur le portable, pour savoir si vous avez bougé de place et j’arrive. Chauffe l’ambiance en attendant.

-          Compte sur moi. Tu vas voir. En ce moment, c’est la folie. J’ai une hélice dans la boite à plaisirs.

Véra démarra laissant sa copine près du pont, devant le River Side. Les rues piétonnes affichaient des touristes de printemps timides. On était loin de fumer la moquette.

Elle extirpa l’adresse que lui avait refilé sa mère entre deux larmes : « foyer du bel-air, rue Delpuech. »

Amiens pontifiait ses heures de pointes avec parcimonie : la circulation modérée permettait une conduite fluide. Cinq minutes plus tard, elle se garait à deux pas de son objectif. La rue, vivant souvenir de l’urbanisme d’après-guerre, conjuguait des masures à briques rouges, quelques monuments eucharistiques et deux façades second empire à peine rénovées. Le foyer se trouvait dans un immeuble à la mine maladive. Elle poussa la porte en verre. Un type la quarantaine, la moustache éducatrice, la dévisagea d’un oeil policier.

-          Vous désirez ?

-          Je désire voir ma mère. Madame Tesson.

-          Madame Tesson. Non, je ne vois pas, fit l’homme en parcourant la liste posait sur son bureau.

Véra se rappela que sa mère avait précisé qu’elle avait donné son nom de jeune fille.

-          Excusez-moi, je me suis trompé. C’est mademoiselle Chiflet.

-          Mademoiselle Chiflet. Oui, exact. Elle est arrivée chez nous hier. Chambre 22, deuxième étage.

Le type avait fait un signe du menton pour l’inciter à prendre un escalier passible d’amendes par la commission de sécurité. Elle obtempéra, priant pour que le bois grinçant résiste à son corps léger mais sujet à des régimes incessants.

Elle trouva sa mère engoncée dans une sorte de cachot. La fenêtre grillagée éclairait avec peine une chambre chichement meublée. Une gryphée sur son banc de sable, pensa Véra. Et l’immeuble était un banc d’huîtres, un amalgame d’âmes perdues ou à la dérive, un foyer de malheurs.

-          Ma petite maman, qu’est-ce qui t’arrives ? demanda Véra en la serrant dans ses bras.

-          Si tu savais, ma pauvre fille, si tu savais…

-          Allons calme-toi et raconte. Par le début…

Sa mère effondrée, les joues ocre de larmes, la rétine océane, hoquetait comme un vieux fauteuil accueillant un surpoids.

-          Je ne sais plus où j’en suis. Il m’arrive quelque chose de terrible.

La collerette gaufrée habituelle de sa mère avait des teintes grisâtres et ridées, elle si impeccable d’habitude.

-          Raconte-moi, ma petite maman. Qui a pu te causer un pareil chagrin. Tu t’es disputée avec papa ?

-          Non, ce n’est pas cela. C’est juste que je ne suis pas celle que je me suis efforcée de vous faire croire depuis trente ans!

Publié dans jeux d'écriture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article