le refuge 13

Publié le par paul geister

Remariée. Bien sûr, il était mort. Elle avait refait sa vie. Il plongeait encore dans ses yeux lors du premier baiser. Elle l’engloutissait dans un tourbillon incandescent qui lui faisait perdre toute notion du temps. Elle le perdait et le remplaçait aussi facilement qu’une paire de chaussettes usagée.

-         Elle l’a fait pour ton fils. Tu n’as rien à lui reprocher. Elle t’aime toujours. Allez, on descend. Et Simon s’éjecta du bus, d’une poussée, traversa la coque et se retrouva sur le trottoir, avant même que Patrick n’ait pu esquisser un seul geste. L’animateur se leva brusquement, bouscula vivement le contrôleur qui s’amenait pour vérifier son billet et s’enfuit dans les rues de Chamoson. Derrière, le contrôleur prévenait la police qu’un dangereux criminel, n’avait pas réglé son dû.

Patrick courait maintenant vers le premier carrefour. Plus loin, il devinait la masse de l’église, sur la place de Saint Pierre de Clages. Pourquoi était-il descendu trop tôt ? C’était toujours ainsi lorsque l’on prend le bus sans connaître la destination. On ne sait jamais quel arrêt choisir. Il arriva hors d’haleine à l’embranchement de la route qui mène à Ardon et Riddes. Il devina plus qu’il ne vit la silhouette de Sandra qui marchait à côté d’un homme et…cela était impossible et pourtant. Le type qui était à côté de l’amour de sa vie c’était Peter.

Dans la salle de la crypte la noire créature aux lambeaux flottants autour de son étrange silhouette, observait les quatre compagnons. Derrière, ils entendirent le flot de la soldatesque qui s’emparait de la cité, avec des cris cruels. La créature s’apprêtait à frapper de son long bâton cagneux. Camille fit un bond en dégainant son épée à la vitesse de l’éclair. Au moment où elle allait toucher le gardien du livre, une flèche d’un des assaillants transperça son épaule de part en part. Puis un deuxième coup assené cette fois par le malfaisant la propulsa à travers la pièce. Au lieu de s’écraser contre le mur elle se volatilisa dans les airs. Kévin Steven et Peter se rapprochèrent serrant leurs armes dans les mains se préparant à affronter le double assaut : celui des troupes de Sargo et du gardien.

Patrick hurla. Son fils traversait la place. Il était à une cinquantaine de mètres maintenant. Mais le camion, l’énorme camion qui venait d’apparaître du côté d’Ardon roulait trop vite. Ses pistons sonores emplissaient d’un coup tout l’espace. Réduisait le temps à une peau de chagrin. Il roulait trop vite beaucoup trop vite et le petit, son fils, qu’il venait de retrouver était en pleine trajectoire. Il jeta un cri à nouveau. L’enfant se retourna. Mais ce ne fut que pour voir l’énorme masse fondre sur lui, inexorablement. Pour Patrick il restait vingt mètres, une éternité. Son enfant, qu’il voyait après tant d’années d’oubli. Son enfant allait se faire écraser devant ses yeux. Impuissant. Cela ne pouvait pas être. Il s’arrachait de toutes ses forces, poussant ses muscles au maximum. La petite tête blonde se tournait vers lui désespérément. Une petite tête qui serait réduite en bouillie dans la fraction de seconde suivante. Le lourd véhicule enclencha ses freins. Il y eut un hurlement strident. Une fumée noire, un crissement de pneu. Mais le vrombissement des centaines de chevaux fiscaux, des trente tonnes de marchandises faisaient contre poids, empêchait le mastodonte de la route de ralentir. L’enfant serait broyé, percuté et traîné sauvagement par la bête de fer et de feu. Cinq mètres, il ne restait que quatre mètres. Déjà Patrick ne voyait plus le camion dans son champ de vision. Il ne voyait que le bond d’un champion olympique de saut à réaliser. Un bond immense, celui d’un jaguar…

Ou d’un chevreuil. Et ce fut le chevreuil qui se tenait dans l’attente près du monstrueux gardien qui se mit en mouvement. C’était un animal magnifique, magique. Alors même que le gardien ricanait en s’approchant des trois jeunes, barrant le passage de la sortie de la crypte, clamant que les guerriers de Sargo allaient les massacrer, le chevreuil fit un bond fantastique. Il passa au-dessus des trois amis avant d’aller se fracasser sur le mécanisme de la porte. Celle-ci, une énorme pierre de plusieurs milliers de tonnes se mit en branle. Elle se ferma dans un bruit sourd sur des bras et des jambes de guerriers écumant de rage et de frustration.

Patrick se lança dans un saut immense. Il savait qu’il n’avait qu’une chance. L’énorme masse qui arrivait sur lui à la vitesse d’un train ne le raterait pas, si lui ratait son coup. Il se détendit dans les airs. Ses bras se projetèrent en avant. Et il sut dans l’instant de son saut qu’il avait échoué. L’enfant était déjà pratiquement sous les pneus écrasé à tout jamais. Un éclair déchira la place. Une violente secousse fit frémir l’air, l’espace et le temps. Puis une seconde suspendue permit à un chevreuil de surgir de nulle part, de pousser d’un coup de tête l’enfant avant de se faire démolir l’arrière train par l’énorme camion.

Publié dans jeux d'écriture

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