sous le soleil de l'amour 8

Publié le par paul geister

Le lendemain Véra se réveilla tard. La tête ceinte d’une couronne d’aubépine. Mais ce n’était pas d’aubépine dont sa tête souffrait, c’était bien de la cuite de la veille. Elle jeta un œil par la fenêtre. Le jour devait être là depuis un bon bout de temps. Elle regarda sa montre : dix heure et quart.

Etouffant un juron, elle traversa le salon. Prit son téléphone portable et prévint le bureau. Elle était indécrottable. Dans le canapé du salon, Irène ronflait. Elle ouvrit les volets qu’elles avaient fermés la veille.

Elle pénétra dans la cuisine où régnait un désordre digne d’un lendemain de festin nuptial. Les plats sales, l’évier plein de verres, de plats en sauces gelées. Elle tourna la tête et se fit un café, à deux doigts de vomir. Elle enfila sa gabardine pour parer à un temps qui s’annonçait maussade. Elle jeta un œil sur le miroir de l’entrée, prit un peu de fond de teint pour effacer une ridule. Si l’homme, beau, riche et intelligent qu’on lui avait prédit la veille tardait à venir, il ne trouverait qu’une vieille peau, bonne à jouer les sorcières dans un Disney quelconque, couverte de honte de son comportement de la veille.

Elle fit vrombir le moteur de sa voiture, prête à rattraper le retard accumulé, fit cent mètres et s’arrêta pour constater que son pneu était crevé. D’habitude elle aurait appelé Benoît. Mais là, c’était hors de question. Elle entreprit de changer le pneu elle-même. Ce qui ne fut pas une mince affaire !

C’est les mains noires, la mine défaite, les cheveux en bataille qu’elle débarqua dans le service.

-          Justement on vous cherche partout, fit Bruno en se levant pour venir à sa rencontre.

-          Oh ! vous fichez-moi la paix !

Elle rembarra de la plus belle manière le jeune homme qui prit un air sombre. Elle pénétra dans son bureau. Mélanie l’y attendait.

-          Salut, cela n’a pas l’air d’aller ?

-          Cela se voit tant que cela ?

-          Tu parles. On dirait que tu viens de traverser la taïga.

-          Ce n’est pas très loin de la vérité. Benoît m’a trompée !

Mélanie mit la main devant la bouche pour retenir une exclamation de surprise et de dégoût.

-          C’est pas vrai, raconte ?

Et Véra lui raconta en détail ce qui lui était arrivé la veille.

-          Qu’est-ce que tu vas faire ?

-          Je ne sais pas. J’ai les idées un peu embrouillées. Est-ce que je dois lui pardonner ? Je vais peut-être lui écrire un petit mot pour lui dire au moins ce que je pense. Parce qu’il ne m’a pas appelé. Il a eu peur, le lâche !

-          Ben, vu ce que tu as fait à son appartement, c’est compréhensible. Si tu veux venir chez moi…

Véra écrasa une nouvelle larme. Ses amies étaient si gentilles. Pourquoi les hommes de sa vie ne comprenaient jamais rien à rien.

-          Non, pour l’instant je m’entends très bien avec Irène. Mais si jamais cela ne va plus, je saurais m’en rappeler.

-          Excusez-moi de vous déranger les filles, mais le régisseur de la maison de la culture vous demande. Il y a eu un petit problème avec le spectacle hier soir. Il est à l’hôpital.

Les deux femmes se levèrent affolées. Véra se saisit la première du combiné.

-          Allô Paul. Ca va ?

-          Rien de grave rassure-toi. C’est juste la chaîne de l’ours qui était un peu longue. Il m’a touché à l’avant-bras. J’ai cinq points de sutures.

-          Tu es à l’hôpital ?

-          J’en sors. C’est juste que pour faire jouer l’assurance il va falloir prouver la faute du dresseur. Est-ce que tu pourrais te mettre en rapport avec lui ? Ses coordonnées sont dans le dossier des sunshines à la Macu.

-          Ne t’inquiète pas, je m’en occupe. Je m’en veux déjà tellement de t’avoir laissé hier soir.

-          C’est bon, ce n’est pas grave. Prends rendez-vous avec un véto. Il faut être sûr que la bête n’a pas la rage.

-          C’est promis. Je me demande comment on peut laisser un type se balader avec un ours de nos jours. Cela devrait être interdit !

Ils raccrochèrent, après s’être remonté mutuellement le moral.

-          Mélanie, je file à la Macu pour m’occuper de cette histoire. Je peux compter sur toi pour préparer les fiches spectacles pour la réunion de demain ?

-          Pas de souci. J’ai déjà commencé ce matin. J’en suis à la moitié. Je me disais bien que cela arrangerait tes affaires.

-          Tu ne te mets pas en retard dans ton travail pour moi, j’espère.

-          Si, un peu, mais ce n’est pas grave mon travail est moins urgent.

Mélanie était vraiment une chouette fille. Véra se laissa emporter dans son élan et déposa un baiser sur son front :

-          Merci, tu es un ange. Si tu étais un garçon c’est toi que j’épouserais tout de suite !

Derrière ses grosses lunettes, Mélanie n’en revenait pas de tant de tendresse. Elle faillit pleurer, mais Véra ne le vit pas. Elle volait déjà vers la Macu.

Les belles femmes sont habituées aux regards des hommes. Mais quand la peine ou la tristesse, le travail ou l’action les rendent aussi insensible à ce qui les entourent qu’un fripon à la forfaiture, elles deviennent comme des déesses, d’une beauté inatteignable, prête à tout pour défendre leurs intérêts comme Minerve défendait Rome.

Ainsi apparut Véra sur l’esplanade de la Macu. Mais engoncée dans ses soucis elle ne vit pas les deux hommes qui s’approchèrent d’elle.

A cette heure, seuls les pigeons roucoulaient en ces lieux déserts. L’attaque fut rapide et violente.

-          Donne-moi ton sac pétasse, cria une voix rauque à l’oreille de Véra.

Elle fit volte-face pour voir ses agresseurs : deux loubards, des jeunes qui voulaient faire plus vieux que leur âge, les cheveux rasés, un mètre quatre vingt au garrot, bien en chair. L’un d’eux exhiba un cutter.

-          Alors t’amène ton sac ou je te découpe en morceau.

Véra qui ne connaissait pas d’autres moyens pour se défendre se mit à hurler :

-          Au secours. Au secours !

-          Tu vas la boucler, fit le premier, dont l’avant-bras était orné d’un dragon tatoué.

Le deuxième se porta vivement derrière elle et mit sa main sur la bouche pour l’empêcher d’alerter les rares passants.

Le bâtiment de la maison de la  culture était sinueux, avec de multiples angles, des escaliers qui descendaient dans des coins sombres, dans des parkings. C’était le genre de structure neuve qui s’intègre parfaitement dans l’urbanisme d’une ville, lui donne une image moderne mais qui en revanche ne pense pas aux côtés pratiques, à la sécurité des citoyens. Du coup, Véra se retrouvait coupée du monde, en un instant. Maintenue par le bras musculeux du voyou, elle tentait vainement de se débattre.

-          Tu sais que tu n’es pas mal ma poulette. On ne va peut-être pas que te piquer ton sac. On va peut-être jouer avec toi.

-          Ouais Ralf, Ouais Ralf, bavait l’autre.

Enserrée dans un étau dont elle ne parvenait pas à se dégager, Véra avait beau ruer dans tous les sens, les mains s’attardaient sur ses cuisses, sa poitrine, se glissaient sous ses vêtements sans qu’elle ne pût rien faire. Un bon coup de talon pourtant parvint dans le tibia de Ralf. Le voyou émit un borborygme mais ne lâcha pas plus sa prise.

-          Elle se défend la tigresse. Attends, que l’on se soit occupé de toi, tu t’agiteras moins.

C’est à ce moment précis, alors que Véra visait cette fois l’entrejambe du type au tatouage, qu’une ombre intervint avec dextérité. Le tatoué monta dans les airs avec peut-être la ferme intention de faire un looping, se prenant un instant pour Lepennec, médaille d’or des barres asymétriques à Athène. Un bras passa au-dessus de la tête de Véra et cueillit le menton de Ralf avec précision. Véra entendit le choc des phalanges qui s’écrasent sur les maxillaires. Le loubard glissa comme un savon sur la faïence et s’étala par terre entraînant la jeune femme dans sa chute. Mais la silhouette, que Véra distinguait au-dessus d’elle, en contre jour, avait fort à faire : le tatoué revenait à la charge. Le voyou tenta de ceinturer l’homme. Mal lui en prit. Un coup de coude dans les côtes et une prise digne d’un lutteur gréco-romain l’emmena tutoyer le ciel. Le voyou décrivit un soleil avant d’atterrir à plat dos. Cela laissa juste assez de temps au dénommé Ralf pour se remettre sur ses pieds et attaquer avec le cutter. Il y eut un bruit de tissu qui se déchire. Mais le pied de l’homme dans le même temps atterrit dans les côtes du voyou. Ralf se trouva projeté vers la sortie du renfoncement et culbuta sur son copain tatoué. Finalement, le courage gratis ne semblant pas être l’apanage des deux hommes, les deux voyous, apprentis violeurs, et voleurs, prirent la fuite. Il ne restait plus que Véra quelque peu secouée et l’homme qui se tenait le bras pour arrêter le sang qui gouttait sur le granit.

-          Alors mademoiselle Tesson, toujours à traîner dans les endroits ou il ne faut pas !

Elle reconnut dans son sauveur Bruno.

Publié dans jeux d'écriture

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