sous le soleil de l'amour 7

Publié le par paul geister

Elle reconnut le dos de son chef.

-          Je peux vous aider, monsieur Bel.

Le ci-nommé se retourna comme un fou, tel un voleur surpris en plein délit.

-          Je…je…vous m’avez fait peur mademoiselle.

Il n’avait pas la conscience tranquille puisqu’il se mit à bafouiller :

-          Je cherchais un document sur une disquette…je l’ai laissée…

-          Dans mon bureau ?

Son chef prit un air courroucé :

-          Mais oui, dans votre bureau. Je vous rappelle que je suis votre chef. Il est donc normal que je sois dans votre bureau et que je range mes dossiers dans vos dossiers. Tenez, voici ce que je cherchais.

Il exhiba une disquette qu’il venait de saisir dans un boîtier où tout le monde jetait les disquettes dont on avait plus besoin. C’était d’ailleurs dans ce boîtier que Véra avait rangé la disquette des sunshine lover.

Le chef parti, elle compulsa un peu dans le boîtier et trouva la sienne.

Monsieur Bel était un homme d’une cinquantaine d’année, un visage à lunettes, strié de cicatrices, reste d’un accident de voitures. Il regardait toujours les pompes de son interlocuteur lorsqu’il parlait. Sa main était molle et moite lorsqu’il abdiquait pour la tendre et dire bonjour dans un élan de politesse rare.

Véra haussa les épaules, ferma la porte et rentra chez elle. Dans le salon, elle alluma le portable. Une fois arrivée sur sa page d’accueil, elle introduisit la disquette et lança l’impression des fichiers pendant qu’elle prenait sa douche.

Elle repensa à son voyage à la havane l’été dernier. Quinze jours de pur bonheur. La douceur du climat l’avait régénérée pour quelques années. Perdue dans ses souvenirs de plage à Varadero, dans les visites de la Havane et des plongées dans la mer rouge ou la baie des cochons, elle prit le feuillet qui reposait dans l’imprimante et s’adossa confortablement sur son lit pour bouquiner le contrat. Sa surprise fut totale. Dans ses mains elle ne tenait pas le dossier des sunshine lover mais un texte concernant le schéma de développement des salles culturelles du département.

Bel avait du prendre la disquette des sunshine à la place.

Après tout, pour dormir c’était la même chose, c’était aussi ennuyeux qu’un texte sur l’appauvrissement culturel dans les zones rurales et la difficulté d’y faire pénétrer l’art nouveau.

Mais le dossier ne s’avéra pas ennuyeux du tout. D’ailleurs, si les premières pages n’avaient pas trouvé grand sens à ses yeux, à la fin, elle était sidérée par ce qu’elle venait de lire. En cinq pages, il était indiqué comment son patron avait introduit la politique de spectacle dans le département. Rien que cela était du pain béni pour un agent du renseignement ; c’était truffé de noms de conseillers généraux. Des plans, des cartes étayaient le tout. Puis, dans chaque commune avait été élaboré un schéma directeur de développement de salle de spectacle. Tous les devis préconisaient un sous-développement d’équipement et la création d’une entreprise qui assurait toutes les prestations techniques à des prix exorbitants. C’est ainsi que Bel avait mis en place un réseau de plus de vingt communes. Toutes avaient obligation de commander une dizaine de spectacles minimum dans l’année. Chaque spectacle représentait un coût de 1500€. Un rapide calcul montra à Véra que cela représentait plus de trois cent mille €uros. L’arnaque était visible seulement par l’œil d’un expert. Qui aurait pu comprendre dans le charabia technique que les prestations étaient assurées par le matériel du conseil général ? Ce qui représentait un coût zéro pour la société prestataire de service qui n’avait même pas besoin d’investir dans du matériel neuf. Seuls les régisseurs sons et lumières restaient à payer. Mais Véra connaissait les tarifs. Un régisseur ne coûtait que 150 €uros, par spectacle. Bénéfice net : trois cent mille moins trente mille, la société se mettait tout de même deux cent soixante dix mille €uros dans la poche par saison culturelle. Cela devait y aller les petits fours.

Décidément, depuis qu’elle était rentrée de Lyon, Véra allait de surprise en surprise. Sa découverte eut l’effet contraire souhaité. Elle dormit très mal : comment ferait-elle le lendemain pour rendre la disquette à son directeur ? Quelle attitude aurait-elle ? Elle ne pouvait pas dénoncer un état de fait instauré depuis des années. Pourtant cela ressemblait étrangement à un détournement d’argent public. Impossible à prouver.

Elle se dit qu’elle n’était qu’une lèche-cul pour tromper sa conscience et s’endormit. Demain serait un autre jour.

Publié dans jeux d'écriture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article