Sous le soleil de l'amour 3

Publié le par paul geister

 

Le ciel, troué par endroit, exhibait un peu de ciel bleu dans une mare de gris pluvieux. Véra hésitait sur la conduite à tenir. Devait-elle voir son frère, son père ou téléphoner à Sandra pour lui dire qu’elle ne pouvait pas venir ? L’envie d’en parler avec Benoît était forte. Mais elle se refusait à le déranger. Benoît était parti avec ses copains et il risquait de prendre une demande de conseil comme une intrusion dans sa vie privée. Un louable effort de concertation, interprété comme une remise en question de sa liberté. Elle remballa sa pulsion de phéromones et prit sur elle. Le mieux était encore de passer au bureau. Le travail lui donnerait peut-être la solution. L’immeuble du conseil régional qui jouxtait le conseil général était un des rares bâtiments d’Amiens qui subsistait des années dix huit cent soixante dix. La pierre blanche jaune utilisée, rénovée, gardait cette même essence que celle de la cathédrale. Le bureau de Véra nichait au premier étage avec une vue imprenable sur le cirque et le boulevard.

Elle ôta la veste de son tailleur alluma son ordinateur et brancha son palm pocket pour transférer les données qu’elle avait collectées durant son séjour lyonnais. Elle imprima le tout. Ses notes concernaient essentiellement l’intérêt de tel ou tel spectacle. Les fiches techniques, le coût, les modalités de déplacement des artistes étaient soigneusement relevées. La jauge, le temps de montage, le nombre de techniciens nécessaires, les numéros de téléphone des agents faisaient partie d’un autre dossier.

Elle nota rapidement quelques évolutions dans la prétention artistique de certains groupes. La hausse du cachet étant le signe le plus évident de l’intérêt qu’un groupe suscitait auprès du public.

-          Vous êtes déjà rentrée de Lyon ?

La voix était douce, sombre et suave. Véra perdue dans ses pensées se retourna d’un bloc pour découvrir Bruno, un garçon brun, assez grand et toujours très élégant qui travaillait au service littéraire.

-          Comme vous pouvez le voir !

Elle avait répondu avec vivacité, trop peut-être. Elle n’attachait aucun intérêt pour ce garçon trop discret qui ne savait pas s’affirmer. Pourtant, il était grassement payé par la région.

-          Alors ce voyage, intéressant ? Vous avez trouvé quelques perles que j’espère nous pourrons bientôt écouter à la Maison de la culture.

-          Je ne sais pas si la Macu les programmera. Trop avant-gardiste. Mais les petites scènes très certainement. Et vous, vous êtes pire qu’un rat de bibliothèque pour venir travailler un samedi soir.

-          La littérature n’attend pas le travail mais la passion et je pourrais vous retourner le compliment.

La discussion dégénérait. Cela tournait au vinaigre. A chaque réplique le ton devenait un peu plus agressif. Véra, après son long voyage, la discussion avec sa mère, ne tenait pas à se disputer avec l’un de ses collègues. Elle se pencha en avant pour ramasser les papiers qui jonchaient son bureau. Elle sentit le regard inquisiteur qui n’admirait pas que l’échancrure de son chemisier mais qui s’attardait plutôt sur la naissance du soutien gorge et de son contenu. Ce regard qu’un autre jour elle aurait pris comme un compliment, la mit mal à l’aise. Elle se redressa en rejetant sa superbe chevelure brune et bouclée en arrière. 

-          Je crois que j’en ai assez fait pour ce soir. Je vais y aller. Je vous laisse fermer la boutique, fit-elle en tapotant sur les feuillets pour égaliser le tas qu’elle avait dans la main.

-          No souci, j’ai le sésame de la caverne d’Ali baba, fit le jeune homme en exhibant ses clefs avec un large sourire qui découvrit deux rangées de dents parfaites. Je vous souhaite une bonne soirée. A lundi.

-          C’est cela, à lundi.

Véra s’en fut, après avoir enfilé son imper sous les yeux brillants de Benoît. Elle sentait le regard moqueur qui s’attardait sur son corps et qui l’observait sous toutes les coutures. Elle qui l’avait crû timide et réservé le découvrait soudain égrillard et dévergondé. Elle était troublée de constater à quel point elle s’était trompée. Elle eut l’impression de fuir ce regard insistant plus que de faire une sortie digne d’un chef de service du conseil régional. Une fois dehors, l’obscurité tombante du soir happa ses incertitudes.

Elle descendit vers le quartier Saint-Leu pour rejoindre ses amies qui l’attendaient au River Side. Quelques passants égarés se pressaient encore dans les rues. A cette heure, Amiens ne devenait animée qu’à partir de l’esplanade de la cathédrale. Les illuminations du bâtiment au laser n’avaient pas encore débuté. Mais les touristes étaient déjà là. Ses talons résonnèrent un instant sur le parvis. Sa silhouette grande et élancée, sa minceur animale, donnait au minéral de l’édifice une vie instantanée, une fluidité.

La somme étirait ses eaux noirâtres avec paresse. Quelques péniches s’aventuraient déjà sur les canaux.

Elle retrouva Sandra au Nelson. Elle était en compagnie d’Isabelle sa grande copine du moment et d’Irène, la femme d’un des types avec qui Benoît était parti. Sandra était déchaînée :

-          Te voilà enfin. Où as-tu encore traîné ? Tu ne pouvais pas prévenir.

Là-dessus les trois filles éclatèrent de rire. Sandra imitait son chef qui, à chaque fois qu’elle s’absentait tentait de lui chercher des poux dans les cheveux.

-          Allez, va me faire cette photocopie, bonne à rien. Tu vois bien que c’est le recto et pas le verso, disait-elle avec une voix grave. Elle faisait mine de lisser sa moustache.

Elle se tourna vers Véra :

-          Vous prendrez bien quelque chose ma chère. Il est bon de boire un peu après une dure journée de labeur. La boisson est au papotage ce que l’essence est au moteur.

Véra prit un cocktail sans alcool.

-          La fête est plus folle, dit-elle à Sandra en voyant sa grimace de réprobation.

Isabelle finit par obtenir ce qu’elle désirait à force d’œillades à l’intention d’un groupe de garçons, aux pulls jetés sur les épaules, les mocassins qui terminaient les jeans délavés. L’un d’eux et pas le plus moche, avec un air de prospecteur, vint à leur encontre, les lunettes de soleil relevées sur des cheveux gominés :

-          On se connaît ?

-          Je ne sais pas mais si vous voulez on peut faire connaissance.

-          Justement, mon copain se proposait de vous payer un coup. Faut dire que l’on s’ennuie un peu dans cette guinguette.

Un clin d’œil complice à la bande de garçons, un remue ménage de chaises plus tard, et les jeunes gens devisaient le cœur léger. Henri, le garçon qui les avait abordées, fumait cigarettes sur cigarettes, racontait avec grandeur, qu’il travaillait pour une société informatique. Paul, celui qui payait le verre était un parisien de passage, latino-américain. Les deux autres restaient sur la réserve au même titre que Véra. Mais Isabelle et Sandra donnaient la réplique aux garçons si bien que l’ambiance carambolait toutes les ondes négatives. Après une demi-heure de blagues, de jeux de mots, de plaisanteries de circonstances, on décida qu’il était un peu tôt pour se séparer et le groupe partit au resto.

-          Mais si, allez viens. On va s’amuser, insistait Sandra auprès de Véra qui exprimait son désir de rentrer.

-          Non, je t’assure. Le voyage m’a épuisée. J’en ai marre et puis tes deux types, je ne les sens pas. Tu me pardonnes ? demandait Véra à une Sandra boudeuse.

Sa copine ne voulait rien lâcher. Elle arguait que ce n’était pas une heure pour se coucher, surtout un samedi soir. Qu’elle était une maniaque du travail, que son mec finirait par la larguer si elle ne savait pas se faire désirer.

-          En plus, c’est toi qui m’as fait un grand discours la dernière fois, sur l’amour. Que l’on ne peut être aimée si l’on n’est pas un objet de désir. Et là tu vas t’allonger comme une chiffe molle. Sois un peu décadente, vis le plaisir. Carpe diem. Regarde ces types qui ne sont là que pour toi.

Et comme par hasard, juste à ce moment, les deux garçons, Henri et Paul tournaient la tête avec des regards concupiscents, de leur côté. Véra eut la sensation d’être une tranche de jambon frit dans un hamburger.

-          Non, je t’assure. Je n’ai vraiment pas la forme. Je vais te gâcher la soirée et plomber l’ambiance. J’aime autant rentrer. On aura d’autres occasions, promis !

-          Promis ?

-          Promis.

Véra se dégagea de l’étreinte de son amie qui tentait encore de la convaincre. Récupéra sa Bmw et sortit rapidement d’Amiens. Benoît avait un appartement vers Salouel, sur la route de Rouen.

C’était un trois pièces spacieux. Un petit jardin permettait de manger dehors et d’étendre le linge. Un petit nain miniature ornait une riviera de géraniums. C’était d’un kitsch ! Véra respira un grand coup. L’appartement recelait encore le parfum de son fiancé. Des tableaux de pop art, signés Andy Warholl alignaient des Marylin Monroe et couvraient le mur du salon. Les meubles, essentiels, donnaient de l’espace au salon. Véra déposa son portable et alluma une cigarette, prit un verre de porto. Elle changea la litière du chat et remplit sa gamelle. Il vint se frotter contre elle en ronronnant. La vie était simple. Benoît était chef de rayon dans un supermarché. Un jour il serait directeur de magasin. Il gagnerait assez pour qu’elle puisse arrêter de travailler et élever correctement leurs enfants. Oui, des enfants.

Une fois dans le lit, elle ne laissa qu’une petite pensée, avant de s’endormir, pour sa mère seule dans son foyer. Après tout elle n’avait jamais désiré que ce qui était nécessaire pour elle comme pour les autres.

Publié dans jeux d'écriture

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