Sous le soleil de l'amour 16

Publié le par paul geister

Seul un petit interstice glissait de la lumière sur le tapis du salon. Cinq bonnes minutes passèrent. Il y eut un grattement.

-          Bruno ?

-          Véra ?

-          Je suis enfermée dans la maison. Passe par la fenêtre les volets sont mal fermés.

Deux secondes plus tard, la fenêtre volait en éclat et Bruno en nage apparaissait.

-          J’ai couru comme un cinglé pour faire le tour de la propriété pour les surprendre par l’arrière et quand je suis arrivé il n’y avait plus personne. J’ai bien crû qu’il t’avait emmenée. Je ne me le serais jamais pardonné.

Il défit rapidement les liens et la serra contre son cœur.

-          Mon amour, c’est la dernière fois que je te laisse affronter une telle situation.

Mais Véra ne l’entendait pas.

-          Vite, ils sont partis à l’aéroport !

Les deux jeunes gens grimpèrent sur la moto de Bruno. Véra les mains serrées sur la taille du conducteur faisait une prière pour exorciser sa peur de la vitesse. La machine dans un hurlement de pistons mégalithiques, s’arrachait au bitume, ruait de la roue avant, regagnait mètre après mètre, le retard. La gravité n’existait plus. Les dérapages dans les tournants faisaient gicler les gravillons. Bruno jonglait avec les vitesses.  La moto possédée par une vie propre, telle une sauvagine, doublait en rasant les véhicules sur son chemin, se rabattait au dernier moment pour éviter d’emplafonner une voiture en sens inverse, prenait sur la droite lorsque la gauche était impraticable, zigzaguait sur la nationale, évitant au dernier moment les lucioles blanches et rouges des phares qui laissaient dans la visière du casque de Véra de la poudre de lumière.

Ils pénétrèrent en trombe sur le tarmac. Au loin, un petit avion, un piper, admirait quelques silhouettes qui s’agitaient autour de ses hélices déjà tournoyantes prêtes au décollage.

Bruno avait stoppé la machine infernale qu’il contrôlait entre ses jambes. Le moteur au ralenti lâchait un vrombissement sourd, haché et rauque.

Bruno fit un signe à Véra pour lui montrer Kunst et sa clique qui s’affairait autour du zinc.

-          On y va ? dit-il d’une voix étouffée par le casque.

-          O.K. acquiesça-t-elle en se serrant un peu plus contre lui.

-          Alors accroche-toi, hurla Bruno au milieu du rugissement de son moteur plein gaz.

Le pur-sang mécanique en roue arrière faillit la désarçonner. Mais Bruno était un jockey expérimenté. D’une main, il continuait à maîtriser les rênes de sa monture et de l’autre il tenait sa cavalière. Lorsque la roue avant retoucha terre, ils étaient déjà à plus de cent kilomètre heures. Elle entendit Bruno hurler et rire en même temps. Il poussait un cri de guerre :

-          yahooouu !

Véra s’agrippait comme elle pouvait au blouson de cuir du jeune homme sans comprendre tout de suite la raison du hurlement. Puis, lorsqu’elle put glisser un regard par-dessus l’épaule de son compagnon, elle vit les crânes rasés qui escortaient Kunst braquer leurs armes vers eux. Ils firent feu simultanément. Avec témérité, elle sentit que Bruno accélérait encore. Il y eut à nouveau deux détonations, une balle siffla au-dessus du casque. Un choc sourd. Elle vit l’un des crânes rasés qui volait, au-dessus du sol, roulait sur lui-même dans le gazon et restait étalé, inerte, les bras en croix. Mais l’autre continuait de tirer. Avec quelques lacets, les pneus mordants la piste, faisant gicler la terre, slalomant encore pour éviter les balles, Bruno fit demi-tour hors de portée.

-          Descends, demanda-t-il à Véra.

Elle hésita un instant puis, devant la mine résolue de son compagnon elle s’exécuta.

Le motard n’était plus le gentil garçon réservé qu’elle avait connu. C’était devenu une sorte de justicier masqué, au visage fantomatique caché par la visière du casque. Jamais elle n’avait vu un homme aussi courageux. Dés qu’elle fut descendue, Bruno s’élança à nouveau. Mais pour s’élancer derrière l’avion qui s’apprêtait à décoller : Kunst tentait de prendre la fuite.

Le petit avion accélérait déjà sur la piste, alors que Bruno demandait un effort ultime au diable de deux-roues.  Développant une puissance d’accélération digne d’une formule 1, la moto reprenait du terrain au piper qui peinait à accélérer. Avec une dextérité sans pareille Bruno réussit à amener son bolide à la hauteur du petit avion. Elle vit deux détonations sèches trouer la nuit ; langues de feu d’un elfe perdu dans la pénombre d’une forêt. La moto fit un écart. L’homme indissociable sur sa machine, braqua sa roue, contre braqua, le pneumatique arrière s’échappa un instant de sa trajectoire, émit un nuage de fumée plaintif.  Bruno, chevalier de l’apocalypse, venait d’effectuer une virevolte sur sa moto, un numéro de haute voltige. Un pied dans le vide, ne se tenant plus que par les poignées, il avait sauté, s’était accroupi de l’autre côté de l’engin pour esquiver les balles. Sa combinaison noire avait traîné sur la piste, la botte surfant sur le bitume dans une gerbe d’étincelles, puis dans un saut souple et leste, il enfourchait à nouveau son engin de tonnerre. Encore un écart et il se rapprocha un peu plus de la carlingue, une seconde après, agissant avec une vitesse diabolique, le jeune homme s’agrippait dans l’ouverture sur le côté que Kunst n’avait pas pris le temps de fermer. D’un dernier coup de reins, Bruno se hissait à la force des poignées dans l’avion. La moto privée de son conducteur valdingua dans le décor effectuant plusieurs tonneaux. Mais Véra ne s’en émut même pas. Ses regards tournaient vers l’avion, elle tentait de suivre dans la semi-obscurité de l’aéroport ce qui se passait. L’avion se mit à effectuer des petits tournants qui déséquilibrèrent Bruno celui-ci se rattrapa tout juste à la poignée de porte de l’avion. Kunst effectua un demi-tour complet à grande vitesse espérant décrocher complètement son ennemi. Mais Bruno héroïque, brinquebalant sur le tarmac, les jambes démantibulées, ne lâchait pas prise. Le zinc fonçait maintenant vers l’autre bout de la piste, vers le crâne rasé encore valide qui accourait avec son pistolet en agitant les bras croyant que Kunst revenait pour le chercher. Relégué à l’état d’observateur le crâne rasé hésitait sur la conduite à tenir. Hésitant entre s’occuper de Véra assez loin de lui, et l’avion qui revenait, il opta pour la deuxième solution au moment où Bruno venait de se hisser à nouveau dans l’avion. Deux secondes plus tard l’avion recommençait à zigzaguait. Un objet très lourd fut projeté au-dehors. C’était la caisse qui contenait les millions de Kunst. L’avion continuait de rouler vers le sbire de Kunst. Celui-ci comprenant que son maître ne s’arrêterait pas, visa posément la carlingue de l’avion et tira. La vitre du pilote fut brisée. L’homme de main venait de faire mouche. Mais l’avion n’arrêta pas sa course folle pour autant. Transitant d’une piste à l’autre, l’avion slalomait en direction de la fin de piste, sans contrôle : Kunst avait dû être touché. Véra perçut une détonation dans l’avion, distingua une ombre qui tombait de la carlingue et roulait dans l’herbe, culbutant par la même occasion le sbire de Kunst. Déséquilibré, ce dernier n’en lâcha pas son arme pour autant. Il se relevait, menaçant. Véra courut pour porter secours à Bruno. Ce dernier restait allongé dans l’herbe. Véra voyait le dos du crâne rasé qui pointait son arme vers la masse inerte dans le gazon. Elle ne pouvait pas intervenir. Pas encore. Trop loin.

Enfin, une gigantesque explosion, fit reculer l’assassin. Le zinc arrivé en bout de piste venait d’exploser sur le muret qui clôturait l’aéroport. Cela donna un répit suffisant à Véra pour sauter sur le dos de la brute, alors que le zinc finissait de se consumer en une série de petites détonations.

Le crâne rasé, surpris par cette attaque, vacilla un instant puis se débarrassa d’un coup d’épaule de Véra.

- Je vais te…

Il s’avança vers Véra, menaçant. Les traits tordus par la haine dans son visage lisse et imberbe. Elle tenta de ramasser l’arme que l’homme avait laissé tomber sous le choc de son attaque. Lui avait déjà devancé son geste, et son pied vint écraser la main de Véra. Elle hurla de douleur, alors qu’il se penchait pour récupérer son bien.

C’est alors qu’une autre forme apparut au-dessus de la mêlée. Le crâne rasé tenait toujours l’arme dans sa main, mais la poigne d’acier qui venait de le saisir à l’épaule, l’obligea à pivoter et avant même qu’il ait eu le temps d’esquisser le moindre geste de défense, un crochet venait de le cueillir au menton. Puis un autre, suivi d’un uppercut et d’un direct au foie. Il suffoquait maintenant, K.O. debout, ne tenant sur ses jambes que par miracle. Pourtant, dans un dernier sursaut il s’effondra dans les bras de Bruno avec une détonation sèche. Véra eut un hoquet de stupeur. La flamme meurtrière avait jailli du pistolet et les deux hommes s’affalaient ensemble dans l’herbe, comme deux lutteurs morts d’épuisements.

Non, mon Dieu, Bruno, non.

Publié dans jeux d'écriture

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