Sous le soleil de l'amour 12

Publié le par paul geister

Elle recula vivement. Les traits du jeune homme, avec la faible lueur prenaient des allures menaçantes. Elle mit le manche à balai en évidence entre elle et lui :

-          Qu’est-ce que vous voulez ?…qu’est-ce que vous faîtes ici ?

-          Je viens de vous dire ce que je faisais ici. Je vous apporte une ampoule. C’est exactement ce que je fais. Et vous que faites-vous ici ? Justement je ne m’expliquais pas qu’il y ait toujours de la lumière. J’ai crû d’abord à un cambriolage.

Il eut ce sourire qui lui déplaisait tant mais qui cette fois lui parut plus engageant.

-          C’est quoi Maman ?

C’était la petite Morgane qui à peine réveillée par le bruit venait aux nouvelles.

-          Ce n’est rien ma chérie. Va te coucher. J’arrive pour t’expliquer.

Elle se tourna vers lui bien campée sur ses jambes :

-          C’est donc vous le voisin d’Irène dont elle me parle tant ?

-          Lui-même. Et vous êtes la copine qui  a eu une histoire avec un garçon qui a mal tourné.

Elle rougit. Connaissant Irène elle s’était sûrement laissée aller à des confidences excessives.

-          En tous les cas vos enfants sont adorables.

-          Ce ne sont pas les miens !

-          Ce n’est pas ce que m’a dit la propriétaire des lieux !

Véra sursauta. Qu’est-ce qu’Irène avait bien pu raconter ? Du coup elle changea de tactique. Après tout elle avait le temps. Elle pouvait bien essayer de lui tirer le vers du nez. Cela éviterait de jouir d’une mauvaise réputation au bureau par la suite.

-          Je crois que j’ai droit à quelques explications. Voulez-vous bien m’attendre une minute, pendant que je vais coucher Morgane.

-          Pas de souci. J’ai moi-même annulé un rendez-vous ce soir.

Elle monta border Morgane qui dormait déjà à nouveau accroché à son nounours. Les enfants d’Irène avaient l’air habitués à être sans leur mère. Elle se remémorait que lorsqu’elle avait cet âge là, sa mère ne l’aurait jamais laissée seule. Au grand jamais.

Elle redescendit. Bruno était toujours là. Elle remarqua une légère effluve de parfum qui se dégageait de lui qui ne lui déplut pas, mais ce qui la troubla ce fut le regard qu’il lui accorda. A peine appuyé, mais léger comme une plume il fit affleurer à la surface de son âme toutes sortes de choses, une vision neuve qui donnait au monde extérieur une nouvelle facture.

-          Ainsi vous êtes le voisin d’Irène.

-          Et vous mère de famille.

-          Pas du tout ce sont les enfants d’Irène que je garde. Leur mère est partie faire la fête suite au refus que vous lui avez signifié. Ce que c’est que d’avoir déjà une petite amie.

La phrase de Véra n’avait pas été calculée consciemment mais elle sentit qu’elle venait de faire un pas de trop en direction de cet homme qu’elle ne connaissait qu’à peine. Il était peut-être sympathique mais ce n’était pas une raison pour se renseigner tout de suite s’il était disponible. Mais après tout ne l’avait-elle pas vu en compagnie d’une blonde avec qui il semblait très intime.

Bruno loin d’afficher la moindre contrariété répondit complaisamment :

-          Détrompez-vous. Je suis un cœur à prendre ou plutôt mon cœur est pris mais celle à qui je le propose n’est pas intéressée.

-          C’est toujours mieux que d’avoir donné son cœur, que la personne à qui vous l’avez donné vous ai fait croire qu’elle le prenait mais que dès que vous avez le dos tourné s’empresse de vous balancer dans une poubelle pour courir d’autres aventures.

-          Vous avez raison. Je ne suis qu’un sale égoïste. Il y a pire que moi. Je sais. Je me suis déjà fait tromper.  En plus de la honte d’être trompé, il y a cette souffrance qui n’en finit pas de ne plus pouvoir faire confiance. C’est un coup de couteau dans le cœur.

-          N’exagérons rien. La honte je m’en arrange, pour ce qui est de la souffrance c’est vrai que je me sens assez mal mais, bon, cela passera.

Véra resta un instant silencieuse. Elle ne savait plus quoi dire.

-          Désirez-vous prendre un verre ?

-          Avec plaisir pendant que vous me servez ce que vous avez, je vais changer l’ampoule. C’est celle du couloir, je crois.

-          Oui, dit Véra soulagée de se sortir de cet embarrassant silence où ils ne savaient plus quoi dire.

Alors qu’elle servait à son invité et voisin un verre, elle se demandait bien pourquoi elle ne trouvait rien à dire alors qu’ils avaient tant de choses en commun : ils travaillaient dans le même service, avaient les mêmes problèmes de cœur.

Il revint avec ce sourire qu’elle trouvait de plus en plus charmant. Il avait une rangée de dents parfaites et d’une blancheur à faire pâlir le star système. C’est peut-être cela qui l’avait gênée. Il était trop beau.

Ils se mirent tout naturellement à parler travail :

-          Kunst a démissionné. En connaissez-vous la raison ?

-          D’après ce que je sais, cela était essentiellement dû à des erreurs de gestion. On dit aussi qu’il se serait un peu sucré au passage.

-          Vous aussi vous avez les mêmes rumeurs que dans notre service ?

Véra se sentait soulagée d’une part parce qu’après tout elle aurait pu soupçonner cet homme qui avait débarqué dans la nuit d’être le complice de Kunst et en plus c’était l’occasion rêvée de creuser un peu plus loin la politique lecture du conseil régional en littérature. Kunst avait chapeauté la culture et la jeunesse. Peut-être qu’elle pouvait glaner quelques informations supplémentaires pour étayer son chantage et augmenter sa demande.

-          Des magouilles, ce n’est pas peu dire, poursuivit Bruno. Il soudoyait régulièrement les membres des jurys pour attribuer les prix à des maisons d’édition connues. Mais en fait de maisons d’éditions, c’était surtout à des personnes de son entourage. Après la méthode était simple. Le conseil régional allouait des crédits importants pour les achats de livres scolaires ou pour des prêts emphytéotiques aux bibliothèques. Les contrats représentaient plusieurs millions. C’est bien la lune s’il ne retouchait pas une petite ristourne derrière.

-          Pourriez-vous le prouver ?

-          Ce ne serait pas facile. Et puis j’ai d’autres préoccupations depuis quelques temps. Comme je vous l’ai dit je suis amoureux comme jamais je ne l’ai été. Mais je ne lui ai pas encore avoué.

Véra sentit bien qu’il sautait du coq à l’âne mais sa curiosité fut plus forte. Ce n’était pas dans ses habitudes pourtant de s’intéresser aux émotions d’un homme qu’elle ne connaissait qu’à peine.

-          Il faut vous déclarer sinon, comment saura-t-elle que vous l’intéressez ?

-          C’est qu’elle sort d’une aventure qui a mal tournée. Et puis elle est si belle qu’elle en est intimidante.

-          Vous, timide ?

-          Timide comme au premier rendez-vous. Dès que je lui parle j’ai le cœur qui bat plus fort. J’ai des palpitations.

Il éclata de rire et reprit :

-          Rendez-vous compte des palpitations, comme Un jeune premier. Mais elle est si belle si douce, si …

-          Vous n’enjolivez pas le tableau ? C’est une princesse de roman votre dulcinée.

-          Une princesse vous l’avez dit et cruelle avec ceux qui lui porte un peu d’amour, par contre toujours à l’écoute de ceux qu’elle ne devrait pas écouter.

-          Vous voulez dire …

-          Je veux dire qu’elle est un peu comme toutes ces femmes, célibataires, pleurantes sur leur sort. Elle a réussi dans la vie professionnelle, mais sa vie sentimentale est un échec parce qu’elle aimerait que son partenaire soit aussi parfait qu’elle.

-          Et ce n’est pas possible.

-          Jamais les hommes ne pourront atteindre la perfection féminine !

Bruno avait prononcé cette phrase avec une telle conviction, un tel sérieux que Véra ne put s’empêcher de sourire comme l’on sourit à un enfant qui annonce une vérité universelle.

-          Qu’est-ce qui les en empêche ?

-          La question est pourquoi on les en empêche ? Parce que les femmes sont paradoxales dans leur désir : elles désirent toutes l’homme beau, fort, intelligent riche. Comme disait Fitzgerald…

-          Les quatre qualités du prédateur, termina Véra.

-          Mais en plus, il ne doit pas fumer, pas boire, être à l’écoute, sans faire d’ombre, effectuer les tâches ménagères, la cuisine, être un père attentionné et proche de ses enfants. Le truc impossible. Il suffit que l’on fasse la vaisselle pour qu’elle se moque de notre homosexualité, soyez contre et l’on vous traite de macho. Vivre libre et célibataire on est asocial, marié on est un bon à rien. Nous ne trouvons jamais grâce à vos yeux, mais vous êtes si belles, si parfaites, que l’on vous pardonne aisément. On connaît tout de l’homme et la femme nous est si mystérieuse.

Véra regardait Bruno d’un air rêveur et il lui semblait qu’elle le voyait pour la première fois. Elle n’avait jamais réalisé à quel point il était beau, plus beau que tous les autres garçons.

-          Vous croyez tout ce que vous dîtes, lui demanda-t-elle, histoire qu’il continue de parler et afin qu’elle puisse cacher le trouble qu’il lui avait causé.

-          Affirmatif. N’est-ce pas Malraux qui a dit que le XXIéme siècle serait celui de la femme ou ne serait pas.

-          Il a dit cela. Je croyais qu’il avait dit que le XXIème serait le siècle de la spiritualité. Mais peut-être avez-vous une petite idée pourquoi a-t-il dit cela ?

Le garçon, verre à la main, apparemment peu habitué à boire se lança dans une grande explication. Et Véra le regardait. Comment avait-elle pu se tromper sur son compte ? Cet homme était génial. Grand, athlétique, les yeux vert clair, le nez fin et la bouche sensuel, des pommettes hautes. Il avait une fossette adorable sur la joue droite.

-…ne croyez-vous pas ?

-          Si bien sûr. Au fait je ne vous ai pas remercié ou très mal l’autre jour, lorsque vous m’avez débarrassé des deux types.

-          Que vous voulez-t-il ces deux hurluberlus ?

Véra se pinça les lèvres. Soit elle en avait trop dit soit pas assez. Mais il était craquant et elle se rendait compte à quel point elle était stupide de se défier d’un type pareil. Pourquoi ne pas lui raconter ? Qu’avait-elle à perdre, ou à gagner ? Après tout il serait de bon conseil. Elle se jeta à l’eau :

-          Vous savez Kunst est dans de sales draps. Je vais vous expliquer pourquoi.

Elle lui narra tout de bout en bout. Comment le dimanche soir elle avait pris la cassette par mégarde et puis finalement comment elle avait décidé de le faire chanter :

-          Après tout, il n’a que ce qu’il mérite.

-          Que voulez-vous faire de cet argent ?

-          Je ne sais pas. Une partie pour une association de myopathes peut-être, un peu pour ma mère qui m’a donné l’idée et qui a bien mérité de se reposer un peu. Si j’avais eu quelqu’un je me serai payé un voyage romantique à Venise.

-          Venise cela sent mauvais, été comme hiver. Je vous le déconseille.

-          Cuba alors ?

-          C’est un peu surfait. Varadero est une usine à touriste. Que diriez-vous d’un petit voyage dans la jungle amazonienne. Partir du Pérou pour arriver au Brésil.

-          Je ne sais pas pour l’instant, je n’ai personne avec qui partir.

Cette fois Véra remarqua que le teint du visage de Bruno se rembrunissait.

-          Vous savez, je dois vous dir…

Il n’eut pas le temps de terminer. La porte d’entrée venait de s’ouvrir avec éclat.

Publié dans jeux d'écriture

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