refuge 10

Publié le par paul geister

Le paradis n’est pas un grand lupanar, un gigantesque harem perso, mais un centre de loisirs pour enfants où les meilleurs font de la pâte à sel. Adieu, études longues et ennuyeuses, la vie qui m’appartient désormais, sera une longue suite de chats glacés, de chasses aux trésors, de grands jeux, de gamelles, de joies pures et enfantines.

Je vais pour remercier l’animateur qui m’accueille, cet ange dont la sollicitude n’a d’égal que la patience et le dévouement pour les plus petits.

-         Chut ! Ne dis rien. Il ne sait pas.

Je me retourne. C’est un petit qui m’a soufflé la consigne pour éviter la catastrophe.

-         Il croit qu’il est toujours vivant alors qu’il est mort depuis longtemps.

Devant cette étrange révélation du mort qui s’ignore, je reste perplexe. Je me raccroche aux grandes vérandas qui ouvrent sur l’extérieur. C’est le matin. Une légère brume envahit la végétation. Je ne reconnais pas le panorama mais je ne peux douter d’être au paradis. Dehors, le vert des arbres est si profond, l’étang qui jouxte ce centre de loisirs si étendu, que l’on sent cette contrée riche d’humidité, d’eau.

C’est bien le paradis.

-         Non, c’est juste la Picardie.

Le petit a encore parlé. Il m’a suivi, laissant son activité, analysant mes gestes et mes réactions.

-         Tu es Simon.

Ce petit est finalement plein de ressources. Mais je sens qu’il ne va m’attirer que des ennuis. Du coup, je veux le décourager d’aller plus loin dans le début de notre amitié.

-         Dis, donc, le morveux, si c’est le paradis, comment cela se fait que je ressente comme un désagrément lorsque tu me parles.

-         Parce que tu ne sais pas ce qu’est le bonheur. Les terroristes ne l’emportent jamais au paradis.

Je ne suis pas. Cela tombe sous le sens. Je suis mort, un diablotin m’emmerde et je viens de parler à un mort qui s’ignore.  Un peu grillé l’eden. Je savoure pourtant ce paysage que le vent me souffle être la vallée de la Somme. La même question revient, insistante, inquiétante.

« Que dois-je faire ? »

Résumons : je suis un être structuré, déterminé par un champ social, à travers lequel interagissent des milliers de champs sociaux. Je ne suis qu’un jeune oriental, poursuivi entre des lignes de conduites prépondérantes, et des sous-jacents polymorphes. Dixit Bourdieu.

La Picardie vaut bien les mille vierges. C’est frais, à l’encontre de la chaleur du désert. Je me retourne vers le vermisseau qui m’adressa la parole il y a peu.

-         Comment t’appelles-tu ?

-         Kévin !

Je grimace à entendre ce prénom anglo-saxon. Le diable est encore de la partie, c’est sûr.

-         Explique-moi un peu, toi qui as l’air finement au courant, Kévin. Qu’est-ce que l’on fout là ?

-         C’est une question que tout le monde se pose, ici ou ailleurs. La réponse n’est toujours pas trouvée. En revanche, je suis celui qui peut t’aider à trouver ce que tu dois faire. Eh ! Regarde !

Je regarde. De l’autre côté de l’étang, l’endroit pointé par le doigt. Et je reste paralysé. Il y a un long mouvement. Des voiles ténébreuses envahissent la berge et de ce fatras naît une forme. Un long fantôme.

« Que dois-je faire ? »

 Les doigts recourbés sur un pommeau de bâton. Ses haillons ne cachent pas des membres allongés. Un halo argenté, électrique, entoure son corps. Les mains tombent à hauteur des genoux  lorsqu’ils pendouillent. Des pieds difformes. Des doigts crochus. Et un sourire bizarre qui apparaît lorsque l’on fixe un peu longtemps cette forme mouvante. La brume le cache un instant à ma vue mais ce n’est que pour le voir réapparaître de façon plus nette. Et j’en suis sûr maintenant, c’est moi qu’il regarde. Il m’hypnotise. Me paralyse comme un serpent paralyse sa proie. C’est moi qu’il veut. De sa figure, je devine un front anguleux, extraordinaire, une face de lune, étirée aux limites du possible et ce sourire qui recommence à luire sous le capuchon qui recouvre d’ombres mouvantes, cette figure étrange.

Publié dans jeux d'écriture

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