le refuge 12

Publié le par paul geister

Simon arrête de parler. Ils sont à la lisière. Les passeurs de vies ne sont plus loin et Patrick pleure. C’est à son tour d’expliquer. Mais il n’a plus le temps :

« Je croyais être vivant. Je pleurais la mort de celle que j’ai toujours aimé. Sandra. Mon cœur a toujours été le sien, mon âme et la sienne ne faisaient qu’un. Du jour où je l’embrassai, j’ai perdu toute la réalité. Je me souviens maintenant. Le cancer m’a fauché. Je croyais que c’étaient mes larmes qui coulaient sur son corps froid. Alors que c’étaient les siennes sur le mien. »

Un passeur de vie leur apparaît. C’est un être décharné à la longue cape de pèlerin. Il tient le bourdon et le coquillage. Il a le regard calme et tranquille de ceux qui marchent sur le chemin des étoiles :

-         Vous qui venez dans cette contrée bénie par Dieu, quelle est votre souffrance ?

Patrick exhiba alors ses noisettes déposées par l’écureuil dans son par-dessus.

-         On m’a déposé ces fruits dans ma poche.

-         Très bien, humain, mort qui s’ignore, la question est : Mon premier s’en va et mon deuxième n’est pas dessous.

Patrick n’eut pas une seconde d’hésitation :

-         Par-dessus.

-         Bien. Cela devient intéressant : Mon premier est un d sans d. Mon deuxième est une habitation, mon troisième les cyclopes n’en ont qu’un.

-         Ecureuil.

-         Ainsi, humain, tu as su aimer au-delà de la mort. Ta femme t’attend. Nous lui avons délivré le message de ta venue alors qu’elle faisait sa recette du boudin à la purée de poire. Va.

Une brume entoura aussitôt Simon et Patrick. Celle-ci se transforma en un brouillard aussi dense qu’une tempête de neige. Ils avançaient presque à tâtons, lorsque Patrick se saisit du bras de Simon pour lui désigner une forme noire qui se détachait dans l’immaculée blancheur. Ils se dirigèrent vers l’ombre. C’était l’entrée d’un tunnel.

-         Regarde c’est du papier.

-         Et décoré par des enfants. On dirait des dessins de fantômes.

Alors, à leur plus grande stupeur ils débouchèrent dans un Mac Donald dont l’entrée avait été décorée pour Halloween. Devant eux, des dizaines de personnes faisaient la queue pour un sandwich frites, ou un coca. 

-         Où sommes-nous ?

-         A Martigny, répondit un suisse flegmatique passant à côté d’eux.

Martigny. Les deux voyageurs de l’au-delà se regardèrent. Ils étaient dans le monde des vivants.

-         Simon, je crois que nous sommes revenus.

A ce moment, un autre client du restaurant, traversa le corps de Simon, sans s’en apercevoir.

-         Tu es revenu Patrick. Moi, je ne suis qu’un ectoplasme dans ce monde. Ma mort est définitive.

Du coup Patrick se défendit de répondre à son compagnon. Les usagers commençaient à le regarder bizarrement. Ils se demandaient qui pouvait être ce grand type qui parlait tout seul.

-         Oui, tu as raison Patrick. Il vaut mieux me laisser faire les questions et les réponses avant que l’on te prenne pour un dingue et que l’on t’interne.

Martigny n’était pas très éloigné de Saint Pierre de Clages. Mais pour les deux voyageurs de l’au-delà, il s’agissait de localiser où habitait Sandra. Qu’était-elle devenue depuis la mort de Patrick ? Il s’agissait de déterminer qu’elle était leur mission. Les deux amis étaient sûrs qu’une réponse leur serait apportée au moment où il rentrerait en contact avec elle.

-         Incroyable. Le type qui m’a traversé… je peux sentir toutes ses pensées. Je vois sa vie, ses peurs, ses plus profondes angoisses. Et regarde, je vole…

Simon lévitait maintenant dans le brouhaha du fast food. Il ressemblait à une bulle de savon poussée au gré du vent. Cela finit par agacer Patrick.

Sans lui adresser la parole, il descendit aux toilettes. Il n’avait pas le temps de jouer. Chaque minute pouvait s’avérer décisive. Dans le sous-sol carrelé d’un bleu douteux, il trouva ce qu’il cherchait : un énorme annuaire. Le livre trônait sur une sorte de lutrin. Une cabine à pièce en était la seule gardienne. L’animateur s’en saisit et compulsa vivement le bottin.

Simon apparut à cet instant précis. Il venait de traverser la structure métallique de l’établissement. Cette facilité qu’il avait de se déplacer le déconcertait. Il aurait pu rester dans cet état des heures. Il ne souffrait pas. Il n’avait ni faim ni soif. Il volait et lisait dans les pensées de chaque être humain. Cette omniscience le fascinait. Il était si éblouit par ses nouvelles facultés, que malgré toute son envie pour aider son ami, il avait du mal à se concentrer sur le moindre de ses gestes. Pourtant au-delà du premier choc, sa vue se brouilla. Ses yeux s’adaptaient à son nouvel état et lui faisaient voir des choses bizarres. L’annuaire que tenait Patrick dans les mains, fluctuait, vibrait, flou. Autour de l’animateur, les murs carrelés alternaient leurs carreaux bleu chiottes avec des murailles grises, suintantes.

-         La crypte. Nous sommes dans la crypte.

-         La crypte est à Saint Pierre de Clages, répondit son comparse.

-         Alors c’est une configuration extrême. J’ai l’impression de voir Kévin et les autres. Ils sont devant le livre premier…

-         En attendant, j’ai l’adresse de Sandra, dit Patrick en déchirant la page où se trouvait l’adresse. Allez ! viens. Ne traînons pas.

Une fois dehors, le soleil radieux, irrita un peu les rétines de Simon, qui avait un mal fou à rester aux côtés de son ami.

Patrick serrait les noisettes que l’écureuil lui avait données, avec la force d’un naufragé qui s’accroche à la bouée. Elles le guidaient comme un aimant vers sa destination. Simon s’en aperçut.

-         Oui, les fruits du noisetier t’emmènent à bon port ; je vois des traînées rougeâtres, carmins, avec des scintillements jaunes. Elles palpitent de pouvoir.

-         Quand tu auras fini de jouer les guides touristiques, tu pourras peut-être me dire si tu vois Sandra.

-         Prends à droite. Le bus bleu. Il part vers Chamoson…

-         Mais elle habite à Martigny.

-         T’inquiète. Je sais qu’elle n’y est pas. Elle est partie visiter le village du livre après Chamoson avec ton fils et puis, Simon hésita avant de continuer…

-         Et puis…répéta Patrick. Tu me caches quelque chose.

-         Et puis son mari. Ta Sandra s’est remariée.

Publié dans jeux d'écriture

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